☣ THE BENTLEY BOY en carrière.

5 secondes pour l'éternité.

Il l’avait finalement rappelée. Tremblante presque, elle avait serré son téléphone dans sa main, écoutant sa voix grave lui dire que, dès demain, elle pouvait revenir et monter l’étalon noir au regard si vif qu’il en devenait presque déstabilisant. Aude avait été tellement secouée qu’elle n’en avait dormi de la nuit : son rêve semblait enfin se réaliser, alors qu’elle était désormais responsable d’un cheval de concours. Chaque jour qui passerait, elle donnerait tout, jusqu’à n’en plus pouvoir de fatigue. La jeune fille ne voulait pas décevoir Lou qui avait accepté de lui faire confiance : elle voulait lui montrer qu’il avait eu raison de croire en elle, en eux. C’était donc déterminée qu’elle était arrivée dans l’après-midi, s’occupant de l’étalon noir pour l’harnacher ensuite et l’emmener vers la carrière.

Sans broncher, B s’était laissé faire, suivant docilement sa nouvelle cavalière qui le menait du bout de ses rênes, marchant à ses côtés. La jeune femme marqua une pause devant la barrière, vérifiant guêtres et sangle avant de se hisser avec légèreté sur sa selle. D’une légère pression de mollets, elle le mit en avant, le laissant d’abord marcher librement.
L’encolure basse, ses naseaux de velours étaient au ras du sol et, avides, ils en aspiraient chaque odeurs. Les clefs du paradis, étaient-elles ici, sur ces terrains de sable blanc qui semblaient ne s’offrir qu’à lui ? Son rythme cardiaque s’amplifia, et déjà, l’animal plein de ce sang trop pur se redressa, se contractant soudain. Aude fut surprise, mais attentive, elle avait à temps repris les rênes et encadrait avec vigilance sa bête qui semblait furieuse.

Comme pour le prendre de court, Aude lui demanda d’accélérer pour se mettre au trot. Mais rompre aux avances de l’étalon n’était pas la stratégie qu’il fallait adopter avec lui : profitant de cette mise en avant, il partit au galop, la tête entre les jambes et lançant de furieux coups de reins. Déséquilibrée, trimballée et finalement malmenée, Aude ne parvint à se maintenir en selle et chuta lourdement sur le sol. Libéré de cette entrave humaine, The Bentley Boy était maintenant libre, et ce détail ne lui avait pas échappé. Il s’élança de plus belle, le col étendu vers l’avant, ses membres battant le sol avec toujours davantage d’entrain. Des obstacles étaient montés au centre de la carrière et il s’en approchait de plus en plus, alors que du coin de l’œil, il aperçut sa cavalière se remettre d’aplomb. Tenterait-elle seulement quelque chose pour l’attraper, lui tornade de muscles et de nerfs ?

Le Trakehner n’avait que 4 ans, et il avait encore ce côté joueur qu’ont les poulains, sans avoir pourtant réellement conscience de leur force. Naturellement ou presque, il se mit en tête de la défier, et changea brusquement de trajectoire, fonçant droit sur elle. Paniquée, la jeune fille avait pourtant trop peur pour bouger, ce qui la sauva d’un heurt certain sans doute. Mais déjà, Bentley pilait net pour faire demi-tour, quand …

Lou. « BENTLEY ! »

L’appel fut court, puissant et rauque. Mais l’étalon, à cette voix, se raidit. Il l’aurait reconnu entre mille, ce jeune homme aux yeux clairs et qui avait toujours su ce qu’il voulait. Lou était là, mais depuis combien de temps ? Furieux, si Bentley avait cessé d’assaillir sa jeune cavalière, il s’était tout de même lancé dans un autre manège. Il galopait de long en large, comme un animal cerné, ses grands yeux noirs roulant désormais dans leur orbite.

Lou. « Aude, que s’est-il passé avec lui ? »

Aude. « Je ne sais pas … je lui ai simplement demandé de prendre le trot, et il est devenu comme fou ! »

Lou. « Ok. Reste derrière moi maintenant, je vais essayer de le calmer. »

Et sans un mot ni un regard de plus, l’élégant jeune homme se dirigea vers son cheval, murmurant son nom et sifflant doucement. Les minutes qui suivirent semblèrent durer des heures, alors que peu à peu, Bentley semblait se détendre, revenant vers eux. Quand enfin Lou le toucha, l’étalon frissonna, épuisé de ses courses vives et multiples. Mais dans son œil, une étincelle venait de s’embraser.

Il le reconnaissait, lui cet homme auquel il devait tout. Et quelle étrange alchimie que celle qui les liait l’un à l’autre : ce qui les unissait était indescriptible, bien au-delà d’une simple relation de cavalier à cheval, de cheval à cavalier. Entre eux s’était installé un sentiment plus profond, plus impétueux aussi. C’était un respect, une confiance et une reconnaissance animales et mâles comme si, chacun, ils accordaient à l’autre un droit à l’expression.

Aude était presque perdue, alors que sous les caresses de l’homme, le jeune cheval se décontractait, fermant ses yeux noirs, relâchant chacun de ses muscles. Elle s’en voulait et se sentait de trop, alors qu’elle n’osait pas parler, de peur de les gêner, eux qui s’entendaient déjà si bien. Mais pourquoi avait-il décidé de faire appel à quelqu’un d’autre s’il était à chaque fois là, prêt à bondir pour « sauver » son étalon, son protégé ? Elle ne comprenait plus rien et pourtant, elle restait là, seule et perdue face à cet étrange spectacle.

♦

Mes jambes tremblaient sous mon corps, et j’étais encore secoué de toute l’adrénaline sécrétée par mon cerveau. Pourtant, je le sentais près de moi. Je l’entendais m’appeler, et je savais que c’était ses mains qui me caressaient. Quand j’ouvris à nouveau les yeux, je vis les siens, si clairs et vifs, qui me fixaient, alors qu’il me tendait un large sourire. Avait-il eu peur pour moi ? Je ne savais pas, mais j’étais désireux de lui montrer que je m’en voulais de l’avoir contrarié. Doucement, je posais mes naseaux chauds contre sa poitrine, et je soufflais avec entrain, qu’il puisse le sentir. Touché sans doute, il entoura ma tête de ses bras découverts, et il me serra contre lui, à la fois tendrement et fermement. Oh, que j’aimais ces secondes d’éternité !

♦

De nouveau calme, le jeune homme décida de se mettre en selle, afin de le travailler un minimum. Il le fit marcher et, tout en jetant un regard sévère à Aude, il lui ordonna d’une voix sèche et dépréciative :

Lou. « Baisse les barres à 50 cm du sol. Il est déjà fatigué, mais mieux vaudrait ne pas le laisser sur une si mauvaise note. »

Il ne la regarda plus, se concentrant seulement sur l’étalon qui était à nouveau calme et qui galopait désormais en cadence, avec un bon rebond. Lou ne voulait pourtant pas l’épuiser davantage, et il opta pour une courte série d’obstacles, composée de deux droits, de deux droits et d’un spa assez bas. Ils s’attaquèrent deux fois à cette série, et à chaque fois, Bentley fit l’effort de se courber et de frapper le sol, ce qui faisait sourire son cavalier qui, après cette démonstration, le flatta tendrement.

Léger et souple, il sauta à terre, dessanglant déjà son partenaire alors qu’il jetait par-dessus son épaule :

Lou. « Occupe t’en bien, et fait en sorte de fournir un vrai travail la prochaine fois. »

Sévère, il lui remit les rênes sans même la regarder et, comme ils allaient quitter la carrière, il acheva :

Lou. « Tu m’as terriblement déçu, aujourd’hui. »