☣ THE BENTLEY BOY au box.

Pour quelques mots.

C’était un ciel gris qui s’éveillait à cette heure matinale, alors que dans la cour se garait une large automobile. A peine était-il sorti de sa voiture que le vent encore frais s’empara de lui, lui rappelant oh combien ces heures d’accalmie étaient précieuses. Le pas décidé, Lou se dirigea vers les écuries. Les chevaux mangeaient déjà, et avec bonheur, il sentait l’odeur du foin se répandre dans le bâtiment. Que n’aurait-il pas donné pour toujours pouvoir sentir ce délicat parfum qui lui répétait chaque jour qu’il ne s’était pas trompé ? Oh, que n’aurait-il pas donné ! Et comme il continuait de marcher, ses bottes claquant sur le sol, Lou murmura les quelques mots qui, ensemble, ne formaient que son nom. Son nom grave et pompeux, son nom délicat comme la rose à peine éclose, puissant comme le rugissement agressif des moteurs desquels il était en fait l’hommage.

Moi, je l’attendais, le cœur comme dans un étau. Je le savais matinal, et je me languissais de ses apparitions, ne comprenant toujours pas pourquoi il avait fait appel à Aude. Pour moi, il était inconcevable qu’il arrête de me monter : de tous les cavaliers que j’avais eu, seul lui était parvenu à me comprendre, en me menant toujours avec respect, délicatesse et fermeté. Seul lui pouvait encore me convenir, et nous n’étions pas arrivés au bout de la route. Pourquoi, alors ? Voulait-il simplement se séparer de moi ? Avait-il déjà trouvé mieux ? Et parfois, il m’arrivait d’en vouloir à la terre entière. Qui donc tentait de me soustraire cet homme charmant qui pour moi faisait tant ? Malgré toute ma fierté et mon orgueil, je ne pouvais renier le fait que je l’aimais. Sans lui, je n’aurai plus su continuer. Et comme il venait, comme il murmurait mon nom, je passais la tête au-dessus de ma porte, et je lui répondais dans un hennissement bas et rauque, l’accueillant.

Et n’étaient-ils pas beaux, ainsi ? L’Homme, avec connaissance, posait ses mains sur le visage de son compagnon qui, simplement heureux de cet élan de tendresse, fermait les yeux en appuyant son chanfrein soyeux contre la poitrine de son cavalier. A les voir ainsi, il aurait été dur de ne pas penser qu’ils se connaissaient depuis des ans. Pourtant, leur histoire était encore récente. Fusionnelle, mais récente. Et à l’instar de tout couple, ils étaient fragiles. Fragiles dans cet équilibre qu’ils avaient fait leur, exposés face à l’autre, et à la fois victimes et bourreaux. Mais c’était ainsi qu’ils avaient appris à s’aimer, et pour rien au monde ils n’auraient voulu changer ça.

J’avais posé mes yeux sur mon étalon, et je me rendais compte que c’était avec amour que je le regardais, comme si désormais, nos chemins ne pouvaient plus se séparer. Je m’étais rendu compte récemment du pouvoir qu’il exerçait sur moi, naturellement presque. Il n’avait pas besoin de forcer quoique ce soit : il lui suffisait d’être pour avoir de moi cette attention, cette tendresse et ce respect. Je ne m’étais pas rendu compte de la place qu’il prenait dans ma vie, mais comme j’en étais heureux aujourd’hui ! Il me semblait que rien ne saurait nous arrêter encore, maintenant que nous étions là, ensemble.

Sans plus de mot, l’Homme, humble et plein de cette chère humilité, entra dans le box de la Bête, la caressant encore de ces langoureux gestes qui n’appartenaient qu’à eux. Lou savait les chevaux, savait les corps, et avec connaissance, il laissait glisser ses doigts sur les muscles tendus de son partenaire, dessinant d’étranges dessins sur sa robe alors que peu à peu, le jeune animal se détendait, s’abandonnant à celui qui, durant de longues années, avait été son prédateur puis son bourreau. Mais si les jeux étaient entre eux nombreux, les règles en étaient toujours claires : respect et confiance devaient aller de paires.

Au bout de ces longues minutes, Lou prit le licol bleu électrique et le passa à Bentley qui ne broncha pas. Il le fit ensuite sortir de son box, et l’attacha à l’anneau prévu à cet effet. Là, il commença à le brosser, le curant d’abord, avec soin et délicatesse. Courbé sur les membres de son partenaire, Bentley avait posé son nez chaud sur son dos, et respirait bruyamment, multipliant les marques d’affection envers cet homme qui le comprenait si bien. Lou se redressa ensuite, caressant l’encolure puissante de l’entier, avant d’empoigner son étrille.

C’était dans ces heures que je me rendais compte de tout ce que cet Homme sacrifiait pour moi. Il était le seul à arpenter les écuries de si bonne heure, le seul à m’être encore si fidèle alors qu’il aurait pu avoir pour moi palefrenier et entraîneur. Pourquoi était-il encore là, à prendre soin de moi ? Je ne savais pas, mais j’osais espérer que c’était parce qu’il m’aimait, comme moi je l’aimais. Je frissonnais un instant, ma peau tressaillant, alors que mes grands yeux noirs cherchaient les siens, d’une rare clarté. Je n’avais pas de mots pour lui dire à quel point je l’aimais : juste des armes d’équidé. Comment lui faire comprendre, alors, chaque jour que je l’aimais davantage, et que je lui étais reconnaissant de tout ce qu’il faisait pour moi ? Je ne pouvais qu’être, et parfois, je le regrettais.

Bientôt, l’Homme rangea ses brosses, se reculant pour admirer son œuvre.

Lou. « Tu es de plus en plus beau, Bentley. Mais prends garde à ne pas le devenir de trop : qui sait ce qu’ils décideraient de ton avenir … »

Menace, doute, amertume et rancœur.

Menace.