Tao au Rond de longe

Elle était venue me chercher à pas feutrés. Il était tard, c'était la règle, mais nos visites de minuit ne me dérangeaient absolument pas. Elle me dirigea vers le rond de longe sans un mot, sa main tremblait un peu, elle avait peur qu'on nous surprenne. Pourtant, l'idée de m’amener au rond de longe ne lui avait pas déplue. Tout comme avant, un peu de travail en liberté. J'essayais de la détendre en la faisant rire, je plongeais mon nez dans le sac qu'elle tenait rempli de carottes. Elle me repoussa gentimment de la paume de la main en riant. " Chuuut! C'est pas le moment Taooooo!'
La façon qu'elle a de prononcer mon nom à rallonge. J'aime bien. C'est tout elle.
On entre dans le rond, elle referme doucement puis regarde autour de nous: il n'y a personne, et le rond de longe étant assez éloigné des écuries , il n'y a pas de raison qu'on nous découvre. Alors elle se tourne vers moi, sourit, et la situation en devient presque plausible. On dirait que tout est comme il y a un mois de cela, rien n'a changé.
Doucement, elle retire mon licol: j'ébroue la tête vivement , plus aucune contrainte, je décris un tour au galop dans le rond de longe au diamètre largement suffisant, puis m'arrête sous le regard de ma protectrice qui caresse mon encolure de ses doigts fins. Elle a la peau très fragile, je m'en rappelle parce que quand on picniquait en campagne avec son père, il lui disait toujours de remettre de la crème solaire, et moi je profitais de ce moment là pour voler les pommes du dessert. Bref.

Elle s'appuie à mon dos et s'aide de la barrière pour monter. Je recule un peu avant de retrouver les bonnes vieilles habitudes. Un tour au trot pour s'échauffer, puis elle me demande en selle une ou deux jambette avant de me remettre au centre.
"J'espère que t'as pas oublié tout ce qu'on a appris ... non?"
Je devine son sourire comme quand je veux pas bosser. héhé.
"Cabre!"
Comme ça, maintenant?  Certes j'adore ça mais ça fait un mois que j'ai plus... Je recule de quelques pas, esquisse un première montée d'antérieurs , retombe au sol avant de me propulser avec force vers le haut. Je reste levé en faisant confiance à Loulou, je sais qu'elle s'accroche, même si j'ai senti son petit " ouhla"! déstabilisée.  J'esquisse un pas en avant mais je sens la gravité prendre le dessus et ne tarde pas à reposer les pattes.
" Je suis fière de toi, tu reste fidèle à toi même." Elle me tend un bout de carotte ( parce qu'elle sait que j'adore ça), avant de me demander de me coucher.  Mine de rien, on a fait pas mal de boulot ensemble, parce que je me souviens qu'au départ quand je me couchais ben c'était trop brusque et elle devait faire gaffe que je lui écrase pas la jambe. Je me couche donc délicatement, puis elle descends et commence à sortir une carotte. J'en profite pour me rouler joyeusement dans le sable, ce qui la fait doucement rire: j'en ressors poussiéreux à souhait.
"Roooh grosse bête! J'en connais une qui va pas être contente." Ce à quoi j'engloutis ma carotte. On rentrait après aux écuries, mais entendant du bruit, Lou préféra partir discrètement sans me passer un coup de brosse. Le lendemain, Alice se demandait pourquoi j'étais bizarrement aussi crade.